LE FIGARO 10 Octobre 1893

LE FIGARO Mardi 10 Octobre 1893

Figaro Mardi 10 Octobre 1893

L ' A F F A I R E S E G O N Z A C

Par dépêche de Saint Louis

L'Affaire est venue ce matin à la première heure sous la Présidence de Mr. le Capitaine de Frégate ROCHER. Les informations manquent à l'heure où je vous télégraphie on ne sait qu'une chose importante, c'est que l'accusation de meurtre semble abandonnée, faute de preuve, on ne poursuit plus l'infortuné lieutenant pour meurtre, mais pour voies de fait envers un supérieur.
La défense réplique que le conseil de guerre est incompétent, parce-que la mort de Mr QUIQUEREZ s'est produite à PLAOULOU, village nègre ne dépendant en rien à la justice Française, et en outre parce-que le Ministère de la guerre, avait mis en congé Mr de Segonzac, par conséquent il n'était plus sous la loi Militaire, mais simplement sous la loi civile.

L'affaire est là.

Albert BATAILLE

Figaro Lundi 16 Octobre 1893

L ' A F F A I R E S E G O N Z A C

Par dépêche de Saint Louis

L'affaire Segonzac n'a pas pris fin Samedi comme on l'espérait. L'audition des témoins est terminée, il est vrai, mais les dépositions des tirailleurs et des laptots sont pleines de telles contradictions que le conseil ne sait plus du tout à quoi s'en tenir.
Une nouvelle expertise médicale a été ordonnée par le Commissaire du Gouvernement. On croit que le jugement sera rendu Mardi.
On semble très favorablement impressionné par l'attitude très calme de Mr de Segonzac et par les versions si contradictoires de ceux qui l'accusent.

Albert BATAILLE

Figaro Mardi 17 Octobre 1893

L ' A F F A I R E S E G O N Z A C

Par dépêche de Saint Louis

Les nouvelles que nous recevons de Conseil de guerre de Saint Louis semble prévoir l'acquittement du Lieutenant de Segonzac.
Monsieur Léon RENAULT qui a commencée hier sa plaidoirie pour le jeune officier a beau jeu pour sa défense au milieu des contradictions est des incertitudes des dépositions des témoins à charges, noirs ou laptots, dont les déclarations sont toujours sujettes à cautions.
L'un des laptots, Ali-Bari sur lequel l'accusation comptait beaucoup pour établir que le Lieutenant QUIQUEREZ avait été frappé par son compagnon, n'a plus rien affirmé à l'audience.
Deux autres laptots, couché devant la tente des deux officiers sont accourus au bruit de la détonation et n'ont pu voir la scène. Quand ils se sont penchés dans la tente, le Lieutenant de Segonzac venait de rejeter la couverture sur la tête du Lieutenant Quiquerez; il a déclaré que le Lieutenant venait de se tuer, et personne n'a osé mettre en doute cette affirmation.
Ces témoignages sont confirmés par ceux de deux tirailleurs Sénégalais et du sergent indigène Gallo-Djalo, auquel Monsieur de Segonzac aurait donné une montre pour acheter son silence soutient le Ministère Public.
Le témoignage le plus grave est celui d'un nègre de PLAOU qui, lui, déclare avoir vu par la porte restée entrouverte de la tente de Monsieur de Segonzac tirer son révolver et faire feu.
Rien à conclure de la disposition des armes. Le Lieutenant de Segonzac avait son révolver à porter de la main, mais le révolver du Lieutenant Quiquerez était également à côté du malheureux officier.
Bref, le Commissaire du Gouvernement a été tellement impressionné lui-même par ces dépositions si vagues qu'il a demandé un supplément d'enquête médicale et une nouvelle expertise du crâne du Lieutenant Quiquerez.
Les dépositions des témoins à décharges paraissent n'avoir pas mains frappé le conseil de guerre.
Monsieur le Lieutenant de Vaisseau Jacquet qui a rencontré les deux officiers à plusieurs reprises au cour de leur expédition, témoigne du parfait accord dans lequel ils vivaient.
Monsieur Palazot, ingénieur, représentant de la Compagnie des Wharfs déclare que le Lieutenant Quiquerez était hanté par des idées noires et qu'il parlait de se suicider s'il échouait sa mission.
Le Capitaine de Chateauneuf Rondon a retenu de son côté les propos de plusieurs officiers, camarades de régiment du Lieutenant Quiquerez devant lesquels ce malheureux officier a parlé à différentes époques de se faire sauter la cervelle.
Enfin au milieu d'autres déclarations analogues Mr Léon Renault donne lecture de la déposition d'un Maréchal des Logis Mr Duvivier qui a accompagné Quiquerez au Tonkin et auquel le Lieutenant a demandé un jour de lui prêter son révolver pour mettre fin à sa vie.
Le Lieutenant de Vaisseau Itre, le Lieutenant Arago qui se trouvaient sur la côte d'Ivoire à l'époque de l'évènement et qui ont recueilli les premières déclarations des indigènes, attestent par lettre qu'à ce moment tous les noirs parlaient du suicide et que seul un agent Mr Williamson le négociant anglais établi sur la Côte a laissé percer une impression contraire.
Il y a là, on le voit, de quoi préoccuper et inquiéter grandement la conscience des officiers qui composent le Conseil de guerre de Saint-Louis.
Les plaidoiries ne se terminent que ce soir
Notre correspondant nous télégraphiera le jugement.

Albert BATAILLE