Journal du mercredi 3 Juin 1891
_Courrier de l'Aude, Mercredi 3 Juin 1891
_TITRE DE L'ARTICLE:
LA MESSE POUR LE LIEUTENANT QUIQUEREZ__
Ce matin, à la Cathédrale, les officiers du 17ème dragons assistaient, en corps, au service qu'ils avaient demandé pour le repos de l'âme de leur camarade.
Aux officiers de l'arme s'était joint un groupe d'officier d'infanterie, et, enfin, les sous-officiers et soldats du 17ème remplissaient l'un des côté de la nef.
De l'autre: les dames.
Je ne sais point quels sont les divers sentiments qui pouvaient animer cette assemblée durant la célébration du Saint-Sacrifice, mais je sais bien, en tout cas, que ce fut dans sa simplicité une très belle et surtout très significative cérémonie
Tout d'abord, elle affirme la Foi de ceux qui ont voulu que les prières du prêtre vinssent se mêler aux leurs, les larmes de l'Eglise à leurs regrets et aux douleurs de la famille du Lieutenant Quiquerez.
Elle affirme aussi la touchante et fraternelle solidarité du Régiment, cette chère famille où l'on apprend à aimer la Patrie, cette phalange dont les héros sont toujours prêts à verser leur sang pour le Drapeau qui signifie la France.
Là-bas, bien loin du doux pays natal, mon lieutenant, quand, saisi par les fièvres brûlantes du Haut-Niger, qui en vous ont fait un martyr de plus,vous songiez à ceux qui pleureraient ici votre mort, n'est-ce pas que vous aviez comme une consolante vision de ce qui se passerait ici?
N'est-ce pas, qu'à défaut des secours de la Religion qui vous ont manqué, peut-être, vous espériez ces prières que vos frères ordonneraient pour vous !
Elle était donc belle la simple cérémonie de ce matin, puisqu'elle démontre que l'on s'aime au régiment comme des frères, exposés tous les leurs et chacun au même danger... Pour la mère commune.
Aussi j'admirais ces colonels et ces commandants, fiers et solide malgré les années, ces jeunes lieutenants, futurs colonels de l'avenir, silencieux et recueillis au pied de l'Autel.
Ils semblaient se dire: Qui sait ? Dans quelque temps, ce sera notre tour de marcher... peut-être aussi de succomber.
Oh ! comme on comprend bien que cette pensée grave aide à rester profondément chrétien.
Les dames, elles aussi, priaient avec ferveur pour celui qui avait succombé, suppliant Dieu d'épargner à leurs chers maris, qui priaient à côté d'elles, du sort du pauvre Quiquerez.
Ce spectacle et ces pensées nous remuaient profondément: Je pense par analogie, à tous ces enfants de France, tous beaux, jeunes, forts et pleins d'avenir qui vont empourpré de leur sang généreux et chevaleresque les immenses plaines meurtrières du Tonkin !
Je les voyais, mourants des fièvres paludéennes contractées dans les malsaines rizières, ou frappés par derrière, lâchement, par les flèches empoisonnées des Annamites.
Et de tout mon coeur, je maudissais l'oeuvre de Ferry-le-Tonkinois et les hésitations meurtrières du gouvernement de la République.
A.B.